Alain Rémond : Chaque jour est un adieu (Ed. Seuil)

Je pleure la perte du père que j’aurais pu avoir. Je maudis l’univers entier pour cette injustice : mon père meurt au moment même où je comprends que j’aurais pu vraiment l’aimer, comme un fils. Tout arrive trop tard. Et je vais, maintenant, vivre avec cette blessure. Pire : tenter de faire comme si elle n’existait pas. Faire semblant. Garder le silence.

Mais me voici devant la tombe de mon père. J’ai perdu le secret. J’ai perdu l’enfance. Tous les jours sont des adieux. 

Je reste auprès d’elle, sans savoir quoi lui dire, sinon ces mots maladroits d’un fils pour sa mère, qui veut lui dire combien il l’aime et qui ne sait pas comment lui dire. On est très fort pour les mots dans cette famille. Mais s’est-on jamais vraiment parlé.

Ma mère est morte. Je ne peux pas l’accepter. Je n’ai rien d’autre à dire.

Ma mère est morte. Et nous sommes seuls.

Nous nous regardons dans cette chambre d’hôpital. Elle revient de la mort. Mais comment lui dire bienvenue dans la vie, quand je vois dans ses yeux qu’elle est encore dans la mort ? Nous nous regardons longuement, une éternité. C’est toute notre vie qui passe dans cet échange de regards , l’enfance, les jeux, les rires, tout ce que nous avons fait ensemble. Nos rêves –ah nos rêves ! Tout ce que nous ferions, quand nous serions grands. Agnès, ne t’en va pas, reste avec nous. S’il te plaît

Et nous nous retrouvons une fois de plus, à l’église de Trans, pour un enterrement. Mais, cette fois, c’est l’un d’entre nous, les enfants, qui est mort. C’est Agnès, la plus fragile, d’entre nous. Qui a souffert plus qu’aucun d’entre nous. Qui aimait tellement la vie, le bonheur. Et à qui la vie, le bonheur ont été refusés.agnès vers qui ma mère, juste avant de mourir, a tendu les bras. Pourquoi elle, pourquoi cette main du malheur posée sur sa tête ? Pourquoi n’avons-nous pas su la protéger du malheur ? Qu’aurions-nous dû faire ?

Mon père est mort, ma mère est morte, ma sœur est morte. Je veux vivre en paix avec tous, les vivants et les morts.

 

Alain Rémond : Comme une chanson dans la nuit

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Maj 01/11/2003