Claude ROY

Poésies

Bestiaire des animaux que nous envoient les morts

Il suffit d'une étoile à portée de la main
Pour conjurer le sort
Dormez enfants du jour vos paupières demain
Reconnaîtront les morts

Ils vous apporteront ce qu'ils aimaient le mieux
Ce qui ne déçoit point
Les ombres du couchant les fontaines les lieux
L'odeur triste du foin

S'ils laissent un matin un arbre un écureuil
Un oiseau qu'on entend
Remerciez-les avant qu'ils ne passent le seuil
Après il n'est plus temps

Ne méprisez jamais les dons que font les morts
Ils n'ont pas autre chose
Le choix n'est pas si grand quand on est loin du port
Et jamais ne repose.

Ca m'est égal

Ca m'est égal d'être un peu mort
Escamoté dessous la terre
Du côté de ceux qui ont tort
D'être plus là pour prendre l'air

Ca m'est égal que plus personne
Sache comment je m'appelai
Tant et tant de téléphones sonnent
Dans des appartements déserts

Ca m'est égal de ne plus voir
gens qui pleurent ni gens qui rient
De rien sentir de rien savoir
D'être un peu de rien dans du gris

Mais je voudrais pourtant savoir
Si quelque part quelqu'un quand même
Se souviendra de mes souvenirs
Ai-je rien oublié de tous ceux que j'aime

Je veux bien partir et être très mort
Mais mes souvenirs seront-ils en vain
Comme au fond des mers les galions pleins d'or
Dormant dans le noir de l'eau sans chemins

Mais nos souvenirs seront-ils en vain

Encore un jour

Encore un jour où je t'attends
Où je m'accrois et me découvre
Au gré de l'hôte intermittent
Et des portes que ferme et ouvre
Le temps en moi passant le temps
encore un jour encore un ciel
Vole un oiseau qui ne sait pas
L'aveugle absence et le noir miel
qui se mûrit dans notre en-bas

Encore un jour et son soleil
La mer se déchire à l'avant
Mais à l'arrière l'écume veille
Et recoud vite l'océan
Un jour perdu joie qui s'envole
Et qui s'en va sans rien donner
Où est le nord sur ma boussole
Compte sur tes doigts les années
Il faudrait convenir d'un signe
Pour s'appeler de vie à mort
Un mot de passe entre les lignes
Un fil lancé de bord à bord
Il faudrait le dire à voix basse
Et tu serais entre mes bras
Ma bien lointaine ma tant lasse
Ma très absente et toujours là

Combien de temps nous faudra-t-il
Pour retrouver nos jours perdus
Comme un parfum qui se faufile
Si j'ouvre un livre déjà lu
Vent qui me joue vent décevant
Partagerons-nous notre mort
Ainsi du lit et des draps blancs
Où l'autre et l'un glisse un seul corps

A chaque jour suffit sa peine

Les autres étés

Il y aura d'autres étés
D'autres grillons feront leurs gammes
Dans d'autres blés
On croisera sur la route d'autres dames

Un autre merle inventera
Une chanson presque la même
Un autre monsieur se trouvera là
Sous cet arbre où je t'aime

Une petite fille qui n'est pas née encore
Fera une poupée en coquelicot
A cet endroit précis où ton corps
Endormi se mêle au long bruit de l'eau

On dira (mais ce seront d'autres)
Il faudrait bien un bon coup de pluie
Ca ferait du bien aux récoltes
Les mots feront le même bruit

Mais plus personne plus personne
Ne se servira de mon coeur à moi
Ni de ta voix qui résonne
Dans mon oreille et mon corps à moi.

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Maj 26/05/2004