Fédérico
GARCIA LORCA
Poésies II (1954-1961)
(1923, Résidence des Etudiants)
On
a trouvé aujourd'hui
dans l'étang, morte, une ondine.
Hors de l'eau elle repose
sur le sol ensevelie
Depuis sa tête à ses cuisses
va un poisson qui l'appelle.
Le vent murmure : ma fille !
Mais nul effort ne l'éveille.
Le bassin retient défaites
les algues de ses cheveux
et ses seins gris découverts
que les rainettes émeuvent.
Dieu te garde. Allons prier
Notre-Dame des Rivières
pour la fille de l'étang
morte au-dessous des pommiers.
A ses côtés je mettrai
deux petites calebasses
qui l'aideront à flotter
sur la mer salée, hélas !
A Miguel Pizarro (dans l'irrégularité symétrique du Japon)
(1860)
Sous la lune noire
des pillards de route
tes éperons sonnent...
Petit cheval noir
où emportes-tu ton cavalier mort ?
... Tes durs éperons,
brigand immobile
qui perdis les brides.
Petit cheval froisd
quel est ce parfum de fleur de couteau ?
Sous la lune noire
la Sierra Morena
a son flanc qui saigne
Petit cheval noir
où emportes-tu ton cavalier mort ?
Cordoue
lointaine et seule.
Lune grande, jument noire,
olives dans le bissac,
j'ai beau connaître la route
je n'atteindrai pas Cordoue.
Par la plaine, par le vent,
jument noire, lune rouge,
la mort tout là-bas me guette
depuis les tours de Cordoue.
Ah, ma jument valeureuse
quelle interminable course !
Je sais que la mort m'attend
sur le chemin de Cordoue !
Cordoue
lointaine et seule.
Ainsi t'ai-je vue.
La
jeune morte
sur la nacre de sa couche
nudité de brise en fleur
surgissait au jour éternel.
Le monde qui restait,
iris d'ombre et coton,
regardait à la croisée
l'écoulement sans fin des choses.
La jeune morte
creusait l'amour en son tréfonds.
Entre l'écume de ses draps
se perdait sa chevelure.
A José F. Montesinos
Quand
se montre la lune
les carillons s'effacent
et luisent des sentiers
impénétrables.
Quand se montre la lune
la mer couvre la terre
et notre cur dérive,
île dans l'infini.
Nul ne mange d'oranges
sous le grand clair de lune.
Il faut pourtant manger
des fruits verts et glacés
Quand se montre la lune
aux cent têtes égales
les piécettes d'argent
sanglotent dans la bourse.
Nuit
aux quatre lunes
avec un seul arbre,
une seule ombre,
un seul oiseau.
Je cherche sur mon corps
la chaleur de tes lèvres.
La source baise le vent
sans le toucher.
J'ai le Non que tu m'offris
dans la paume de ma main
comme un citron de cire
presque blanc.
Nuit aux quatre lunes
avec un seul arbre,
A la pointe d'une aiguille
tourne, tourne mon amour !
Elle
circule en mon front.
Ô le regret ancien !
A quoi me sert, dites-moi,
le papier, l'encre ou les vers ?
D'ici ta chair me paraît
un jonc frais, un rouge lys.
Ô brune du clair de lune,
que fais-tu de mon désir ?
Si
je meurs
laissez le balcon ouvert.
L'enfant mange des oranges.
(De mon balcon je le vois)
Le moissonneur fauche le blé.
(De mon balcon je l'entends)
Si je meurs
laissez le balcon ouvert !
(peut-être parce que tu ignorais la géométrie)
Le
jeune homme perdait mémoire de lui-même.
Il était dix heures du matin.
Son cur peu à peu s'emplissait
de fleurs de chiffon et d'ailes brisées.
Il nota qu'il ne lui restait
plus qu'une parole aux lèvres.
Ôtant les gants, il vit tomber
de ses mains une cendre fine.
Du balcon se voyait une tour.
Il se sentit balcon et tour.
Il crut voir que le fixait
la montre prise dans son boîtier.
Il vit son ombre étendue et calme
sur le blanc divan de soie.
Le jeune homme, géométrique et roide,
d'un coup de hache brisa le miroir.
A ce geste un grand jet d'ombre
inonda la chimérique alcôve.
(Avec ailes et flèches.)
Les
hauts peupliers s'en vont
mais ils laissent leur reflet.
Les hauts peupliers s'en vont
mais ils nous laissent le vent.
Mais ils ont laissé flottants
sur les fleuves leurs échos.
Le monde des vers luisants
a envahi ma mémoire
tandis que me pousse un cur
miniscule entre les doigts.
Verte
branche vierge
de rythme et d'oiseau.
Echo de sanglot
sans douleur ni lèvres.
Homme et forêt
Je pleure
face aux flots amers
et dans mes prunelels
il chante deux mers !
Les
enfants regardent
un point éloigné.
Les chaleils s'éteignent.
Des jeunes filles aveugles
interrogent la lune
et dans l'air s'élèvent
des spirales de pleurs.
Les montagnes regardent
un point éloigné.
Les
labyrinthes
que crée le temps
s'évanouissent.
(Seul reste
le désert)
le
cur,
fontaine du désir,
s'évanouit.
(Seul reste
le désert)
L'ilusion de l'aurore
et les baisers s'évanouissent.
Seul reste
le désert.
Un désert
onduleux.
Le
cri laisse dans le vent
une ombre de cyprès.
(Laissez-moi dans ce champ,
pleurer.)
Tout s'est brisé dans le monde.
Il ne reste que le silence.
(Laissez-moi dans ce champ,
pleurer.)
L'horizon sans lumière
est mordu de brasiers.
(Je vous ai déjà dit de me laisser dans ce champ,
pleurer.)
Cent
cavaliers en deuil,
où s'en vont-ils,
par le ciel gisant
de l'orangeraie ?
Ni à Cordoue ni à Séville
n'arriveront.
Ni à Grenade qui soupire
après la mer.
Ces chevaux somnolents
les mèneront
au labyrinthe du calvaire
où tremble le cantar.
Percés de leurs sept plaintes,
où s'en vont-ils,
les cavaliers andalous
de l'orangeraie ?
La
guitare
fait pleurer les songes.
Le sanglot des âmes
perdues
s'échappe par sa bouche
ronde.
Et comme la tarentule,
elle tisse une grande étoile
pour chasser les soupirs
qui flottent dans sa noire
citerne de bois.
Dans la maison blanche meurt
la
perdition des hommes.
Cent poneys caracolent.
Leurs cavaliers sont morts.
Sous les frémissantes
étoiles des quinquets
sa jupe noire tremble
entre ses cuisses de cuivre.
Cent poneys caracolent.
Leurs cavaliers sont morts.
De longues ombres effilées
viennent de l'horizon brouillé,
et le bourdon d'une guitare
se rompt.
Cent poneys caracolent.
Leurs cavaliers sont morts.
Aïe,
petenera gitane !
Aïe, aïe, petenera !
Ton enterrement n'eut pas de fillettes
sages
Des fillettes qui donnent au Christ mort
leurs chevelures,
et portent de blanches mantilles
les jours de fête.
Ton enterrement fut plein de gens
sinistres.
Des gens qui ont le cur
dans la tête,
qui te suivirent en pleurant
par les ruelles.
Aïe, petenera gitane !
Aïe, aïe, petenera !
Les
cent amoureux
dorment pour toujours
sous la terre sèche.
L'Andalousie
a de longs chemins rouges.
Cordoue, des oliviers verts
où planter cent croix
en souvenir d'eux.
Les cent amoureux
dorment pour toujours.
Dans
les tours
jaunes,
les cloches sonnent le glas.
Sur les vents
jaunes,
s'épanouissent le son des cloches.
Par
un chemin s'en va
la mort, couronnée
de fleurs d'oranger fanées.
Elle chante et chante
une chanson
sur sa viole blanche
elel chante, chante, chante.
Dans les tours jaunes,
s'arrêtent les cloches.
Le vent dans la pousière
sculpte des proues d'argent.
Quand
je mourrai,
enterrez-moi avec ma guitare
sous le sable.
Quand je mourrai,
parmi les orangers
et la bonne menthe.
Quand je mourrai,
enterrez-moi, si vous voulez,
dans une girouette.
Quand je mourrai !
La
mort
entre et sort
du cabaret.
Passent de noirs chevaux
et des hommes sinistres
pour les profonds chemins
de la guitare.
Ey il y a une odeur de sel
et de sang de femelle
dans les nards fébriles
de cette plage.
La mort
entre et sort,
elle sort et elle ,entre
la mort,
au cabaret.
Dans
la maison, l'on se défend
des étoiles.
La nuit s'effondre.
A l'intérieur est une enfant morte
avec une rose rouge
cachée dans sa chevelure.
Six rossignols la pleurent
sur la grille de la fenêtre.
Les gens soupirent
avec leurs guitares ouvertes.
A Margarita Manso
Qu'est-ce
qui brille là-bas
dans les profonds corridors ?
Ferme la porte, mon fils,
Entends-tu ? Onze heures sonnent.
Dans mes yeux, sans le vouloir,
je vois luire quatre lampes,
Sans doute, chez les voisins
c'est du cuivre que l'on frotte.
*
Ail
d'argent qui agonise,
la lune en décroissant pose
à la tête des tours jaunes
de longues crinières fauves.
La nuit vient frapper tremblante
à la vitre des balcons,
poursuivie par la meute
des mille chiens qui l'ignorent.
Une odeur de vin et d'ambre
s'exhale dans les corridors.
*
La
rumeur des voix anciennes,
le souffle humide des joncs,
retentissent sous l'arcade
brisée de minuit profond.
Les bufs dormaient et les roses.
Seules dans les corridors
les quatre lueurs clamaient
une fureur de Saint-Georges.
Les tristes femmes du val
descendaient le sang de l'homme,
calme de la fleur coupée,
douleur de la cuisse jeune.
les vieilles de la rivière
pleurèrent au pied des monts
un instant infranchissable
de chevelures et de noms.
Façades de chaux, la nuit
se taillait en carrés blancs.
Séraphins et bohémiens
jouaient de l'accordéon.
Mère, lorsque je mourrai,
faites-le savoir aux patrons
par des télégrammes bleus
qui volent du Sud au Nord.
Sept cris et sept jets de sang
avec sept doubles pavots
brisèrent d'opaques glaces
au plus obscur des salons.
Couverte de mains coupées
flottant parmi les couronnes,
résonnait je ne sais où
la mer sombre des serments.
aux brusques rumeurs du bois
le vent secouait les portes
tandis que clamaient les lueurs
dans les profonds corridors.
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Maj 30/04/2005