Paul ELUARD

CAPITALE DE LA DOULEUR (Ed. Gallimard - 1926 )

 

Répétitions

Parfait

Un miracle de sable fin
Transperce les feuilles les fleurs
Eclôt dans les fruits
Et comble les ombres

Tout est enfin divisé
Tout se déforme et se perd
Tout se brise et disparaît
La mort sans conséquences

Enfin
La lumière n'a plus de nature
Ventilateur gourmand étoile de chaleur
Elle abandonne les couleurs
Elle abandonne son visage

Aveugle silencieuse
Elle est partout semblable et vide.

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Mourir de ne pas mourir

Le jeu de construction

A Raymond Roussel

L'homme s'enfuit, le cheval tombe,
La porte ne peut pas s'ouvrir
L'oiseau se tait, creusez sa tombe,
Le silence le fait mourir.

Un papillon sur une branche
Attend patiemment l'hiver,
Son
cœur est lourd, la branche penche,
La branche se plie comme un ver.

Pourquoi pleurer la fleur séchée
Et pourquoi pleurer les lilas ?
Pourquoi pleurer la rose d'ambre ?

Pourquoi pleurer la pense tendre ?
Pourquoi chercher la fleur cachée
Si l'on n'a pas de récompense ?

- Mais pour ça, ça et ça.

 

Nudité de la vérité

« Je le sais bien»

Le désespoir n'a pas d'ailes,
L'amour non plus,
Pas de visage,
Ne parlent pas,
Je ne bouge pas,
Je ne les regarde pas,
Je ne leur parle pas
Mais je suis bien aussi vivant que mon amour et mon désespoir.

 

Sans rancune

Larmes des yeux, les malheurs des malheureux,
Malheurs sans intérêt et larmes sans couleurs.
Il ne demande rien, il n'est pas insensible,
Il est triste en prison et triste s'il est libre.

Il fait un triste temps, il fait une nuit noire
A ne pas mettre un aveugle dehors. Les forts
Sont assis, les faibles tiennent le pouvoir
Et le roi est debout près de la reine assise.

Sourires et soupirs, des injures pourissent
Dans la bouche des muets et dans les yeux des lâches.
Ne prenez rien : ceci brûle, cela flambe !
Vos mains sont faites pour vos poches et vos fronts.


Une ombre...
Toute l'infortune du monde
Et mon amour dessus
Comme une bête nue.

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Les petits justes

VIII - Elle se refuse toujours

Elle se refuse toujours à comprendre, à entendre,
Elle rit pour cacher sa terreur d'elle-même.
Elle a toujours marché sous les arches des nuits
Et partout où elle a passé
Elle a laissé
L'empreinte des choses brisées.

 

X - Inconnue

Inconnue, elle était ma forme préférée,
Celle qui m'enlevait le souci d'être un homme,
Et je la vois et je la perds et je subis
Ma douleur, comme un peu de soleil dans l'eau froide.

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Nouveaux poèmes

Absences
II

Je sors au bras des ombres,
Je suis au bas des ombres,
Seul.

La pitié est plus haut et peut bien y rester,
La vertu se fait l'aumône de ses seins
Et la grâce s'est prise dans les filets de ses paupières.
Elle est plus belle que les figures des gradins,
Elle est plus dure,
Elle est en bas avec les pierres et les ombres.
Je l'ai rejointe.

C'est ici que la clarté livre sa dernière bataille.
Si je m'endors, c'est pour ne plus rêver.
Quelles seront alors les armes de mon triomphe ?
Dans mes yeux grands ouverts le soleil fait les joints,
O jardin de mes yeux !
Tous les fruits sont ici pour figurer des fleurs,
Des fleurs dans la nuit.
Une fenêtre de feuillage
S'ouvre soudain dans son visage.
Où poserais-je mes lèvres, nature sans rivage ?

Une femme est plus belle que le monde où je vis
Et je ferme les yeux.
Je sors au bras des ombres,
Je suis au bas des ombres,
Et des ombres m'attendent.

 

Leurs yeux toujours purs

Jours de lenteur, jours de pluie,
Jours de miroirs brisés et d'aiguilles perdues,
Jours de paupières closes à l'horizon des mers,
D'heures toutes semblables, jours de captivité,

Mon esprit qui brillait encore sur les feuilles
Et les fleurs, mon esprit est nu comme l'amour,
L'aurore qu'il oublie lui fait baisser la tête
Et contempler son corps obéissant et vain.

Pourtant, j'ai vu les plus beaux yeux du monde,
Dieux d'argent qui tenaient des saphirs dans leurs mains,
De véritables dieux, des oiseaux dans la terre
Et dans l'eau, je les ai vus.

Leurs ailes sont les miennes, rien n'existe
Que leur vol qui secoue ma misère,
Leur vol d'étoile et de lumière
Leur vol sur terre, leur vol de pierre
Sur les flots de leurs ailes,

Ma pensée soutenue par la vie et la mort.

 

Ta chevelure d'oranges

Ta chevelure d'oranges dans le vide du monde
Dans le vide des vitres lourdes de silence
Et d'ombre où mes mains nues cherchent tous tes reflets.

La forme de ton
cœur est chimérique
Et ton amour ressemble à mon désir perdu.
O soupirs d'ambre, rêves, regards.

Mais tu n'as pas toujouts été avec moi. Ma mémoire
Est encore obscurcie de t'avoir vu venir
Et partir. Le temps se sert de mots comme l'amour.

 

Elle est (extrait)

O buste de mémoire, erreur de forme, lignes absentes, flamme éteinte dans mes yeux clos, je suis devant ta grâce comme un enfant dans l'eau, comme un bouquet dans un grand bois.

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L'AMOUR LA POESIE (Ed. Gallimard - 1929 )

Premièrement

XX - L'aube je t'aime

L'aube je t'aime j'ai toute la nuit dans les veines
Toute la nuit je t'ai regardée
J'ai tout à deviner je suis sûr des ténèbres
Elles me donnent le pouvoir
De t'envelopper
De t'agiter désir de vivre
Au sein de mon immobilité
Le pouvoir de te révéler
De te libérer de te perdre
Flamme invisible dans le jour.

Si tu t'en vas la porte s'ouvre sur le jour
Si tu t'en vas la porte s'ouvre sur soi-même.

 

XXI - Nos yeux se renvoient la lumière

Nos yeux se renvoient la lumière
Et la lumière le silence
A ne plus se reconnaître
A survivre à l'absence

 

XXII - Le front aux vitres

Le front aux vitres comme font les veilleurs de chagrin
Ciel dont j'ai dépassé la nuit
Plaines toutes petites dans mes mains ouvertes
Dans leur double horizon inerte indifférent
Le front aux vitres comme font les veilleurs de chagrin
Je te cherche par-delà l'attente
Par-delà moi-même
Et je ne sais plus tant je t'aime
Lequel de nous deux est absent

 

XXVI -  J'ai fermé les yeux

J'ai fermé les yeux pour ne plus rien voir
J'ai fermé les yeux pour pleurer
De ne plus te voir.

Où sont tes mains et les mains des caresses
Où sont tes yeux les quatre volontés du jour
Toi tout à perdre tu n'es plus là
Pour éblouir la mémoire des nuits.

Tout à perdre je me vois vivre.

 

XXVIII - Rouge amoureuse

Rouge amoureuse
Pour prendre part à ton plaisir
Je me colore de douleur.

J'ai vécu tu fermes les yeux
Tu t'enfermes en moi
Accepte donc de vivre.

Tout ce qui se répète est incompréhensible
Tu nais dans un miroir
Devant mon ancienne image.

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Seconde nature

II - Toutes les larmes sans raison

Toutes les larmes sans raison
Toute la nuit dans ton miroir
La vie du plancher au plafond
Tu doutes de la terre et de ta tête
Dehors tout est mortel
Pourtant tout est dehors
Tu vivras de la vie d'ici
Et de l'espace misérable
Qui répond à tes gestes
Qui placarde tes mots
Sur un mur incompréhensible

Et qui donc pense à ton visage ?

 

III - La solitude l'absence

La solitude l'absence
Et ses coups de lumière
Et ses balances
N'avoir rien vu rien compris

La solitude le silence
Plus émouvant
Au crépuscule de la peur
Que le premier contact des larmes

L'ignorance l'innocence
La plus cachée
La plus vivante
Qui met la mort au monde.

 

XVIII - Tristesse aux flot de pierres

Tristesse au flot de pierres.

Des lames poignardent des lames
Des vitres cassent des vitres
Des lampes éteignent des lampes

Tant de liens brisés.

La flèche et la blessure
L'oeil et la lumière
L'ascension et la tête.

Invisible dans le silence.

 

XX - Ils n'animent plus la lumière

Ils n'animent plus la lumière
Ils ne jouent plus avec le feu
Pendus au mépris des victoires
Et limitant tous leurs semblables
Criant l'orage à bras ouverts
Aveugles d'avoir sur la face
Tous les yeux comme des baisers
La face battue par les larmes
Ils ont capturé la peur et l'ennui
Les solitaires pour tous
Ont réduit le silence
Et lui font faire des grimaces
Dans leur désert de présence.

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Comme une image

V - Porte comprise

Porte comprise
Porte facile
Une captive
Ou personne.
Des torrents décousus
Et des vaisseaux de sable
Qui font tomber les feuilles.

La lumière et la solitude.

Ici pour nous ouvrir les yeux
Seules les cendres bougent

 

X - Mange ta faim

Mange ta faim entre dans cet oeuf
où le plâtre s'abat
Où l'arôme du sommeil
Paralyse l'ivresse
Des bêtes en avance
Des bêtes matinales aux ailes transparentes
Se pavanent sur l'eau
Le loup-corail séduit l'épine-chevalière
Toutes les chevelures des îles
Recouvrent des grappes d'oiseaux
La fraise-rossignol chante son sang qui fume
Et les mouches éblouissantes
Rêvent d'une aube criblée d'étoiles
De glaçons et de coquillages.

Lourd le ciel coule à pic
Le ciel des morts sans reflets.

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Maj 06/06/2004