Miriam Silesu : Cinéraire ( Ed. Lettres vives-2002)

Un homme est-il déjà mort de mort pure ? D'une mort sans autre cause que la mort ?
L'âme serait son crime, plus mystérieusement qu'un suicide - elle n'aurait besoin d'aucune arme et ne réclamerait pas de main extérieure...
elle seule suffirait.
Oeuf et serpent, elle-même se gobant.

Tendu, le jour où l'arc se relâchera, je partirai pour toujours dans cet univers insoupçonné où aucun miroir n'arrête l'esprit.

Il me faudrait un repos plus profond que le sommeil. J'ai beau y puiser jusqu'au fond, les nuits ne me suffisent plus. Même la mort ne me suffirait pas. Il est trop tard... Je serai fatigue, fatigue, jusqu'à la nuit des temps.

Mourir à la fin du poème.

Vivre m'exagère.

Je suis une pièce flottante dans le grand puzzle. Mais le puzzle semble déjà complet. Les seules pièces manquantes étant des emplacements de tombes.

Si nous pourrissons, alors autant pourrir le plus profondément possible.

Si on m'ouvrait le ventre, je suis sûre qu'on n'y trouverait pas d'organes, mais cette obscurité dont j'ai l'impression d'être faite, et qui brûlerait celui qui m'approcherait.

Mort on devient pour le monde un être empaillé par les souvenirs.

Et lorsque je serai morte, donnez mon cœur à manger aux vierges comme l'oiseau du tableau de Magritte.

Désirer mourir n'est pas le désir d'être mort, et si l'une conduit parfois à l'autre c'est dans une sorte de malentendu.

Je reste en vie pour connaître la mort, pour l'approfondir - s'il n'est pas absurde de dire que l'on approfondit la mort.

A chaque instant je pourrai vivre ou mourir. Il n'y a pas de temps passé, que le temps, dont aujourd'hui déjà je suis séparée.
La mort n'est que la révélation d'une dissidence vraie depuis toujours, et dont la vie n'aura été que l'échappée sans espoir.

Ne pas mourir, mais vivre sa mort.

Parfois on n'en peut plus de supporter ce pacte tacite qu'est vivre. Et l'on voudrait trahir le secret, le briser.

Pour mieux nous prendre la vie, la mort a le don de nous introduire sous la forme sublime, d'un désir avec lequel se tuer serait coïncider.

Même si je mourais, ce serait dans ma vie maintenant que je mourrais.

Être aussi réel que si j'allais mourir - que si je mourais.
Mais la pensée de la mort aussi produit une sorte d'irréalité.

Pourquoi mourir si l'on peut penser ?

La mort est la seule initiation, sans guide, dans le dos de toute société humaine.

On écrit comme on jette du gros sel dans la mer, pour faire remonter les noyés.

Mais il est déjà trop tard pour mourir. Le temps depuis toujours m'a devancé. On ne lutte pas contre son instant infini.

Le néant est - fut - si intense, que même vivants nous en gardons la mémoire. Et pourquoi morts ne garderions-nous pas une mémoire de la vie ?

La vie est l'horizontale, l'être la verticale.
Ce sont les morts à la verticale que l'on redoute, et non la finitude à l'horizon de toute vie.

Il y a des morts bien plus effroyables que mourir, et d'autres encore, plus belles peut-être.

Je suis dans l'esprit d'un mort dont je suis la dernière pensée, et son va-tout.

Les autres attendent notre mort pour nous pardonner d'être.
Mort ils peuvent nous adorer sans risque.

Être mort est criminel.
Pour que les autres vivent sans danger, il faudrait se sacrifier, il faudrait sacrifier sa mort, et l'on accepte difficilement ce sacrifice.

La vie à bras la mort.

La vie est le secret de la mort.

La nuit ne s'ouvre que de l'intérieur.

Ils auront peut-être ma peau, mais ils n'auront qu'elle.

L'amour est une rencontre avec la vie aux limites de la mort.

La mort rêve à travers nous.

Au moment de mourir sans doute comprend-on que mourir aussi est trop tard.

Jusqu'où peut-on mourir sans vivre encore ?

La vie est un problème d'imagination.
Nous mourrons à la page blanche.

Le cœur a un battement pour le mort et un battement pour le vivant, sans quoi le sang ne circulerait pas, et on étoufferait.

On pleure pour ne pas mourir.

La mort n'est qu'un pas de plus quand le gouffre est en soi.

Sans la mort, nous serions plus réels et moins réels à la fois.

L'ami le plus intime connaît des mondes où nous n'existons pas, où nous sommes morts.

Ce n'est pas parce que les larmes brillent qu'elles éclairent.

On ne meurt que de n'être pas.
L'être est immortel.

Le passé est une vieille maladie à laquelle je voudrais ne plus croire, et à laquelle je crois encore.

S'il y a des fantômes dans les vieilles maisons, ce ne sont que les morts que nous avons été qui nous cherchent pour se venger de ce que nous leur ayons survécu.

La vie est le dernier espoir de la mort.

Je t'ai d'abord aimé dans l'au-delà, et dans la vie t'aimer est me souvenir de toi.

Ne pas mourir, pour jamais n'être qu'un souvenir.

Après toi je ne sais pas ce qu'est mourir.

Tout souvenir pousse sur une tombe en se nourrissant du cadavre.

Il n'y a que la vérité qui nous sauverait, et la vérité tue.

Le désir qui n'a pas su se confondre à un objet est la mort.
Le désir est un principe en soi mortel.
Il n'y a rien derrière la fête douloureuse. La nuit n'attend que de s'abattre sur les amoureux vierges de l'esprit.

Un enfant me tue d'avoir trop rêvé.

Sur la terre de la mort l'amour ne repousse plus, mais tout devient amour aussi, un feu d'amour aveugle.

L'absence est un symptôme de la mort.

La mort est une peau élastique sur laquelle on rebondit, à moins de la percer avec un objet tranchant.

Toutes ces absences qui ont uni leur faisceau en une pointe unique qui m'a crevé l'esprit.

Je pourrais mourir pour préserver la vie, l'emporter intacte avec moi. Mais quelle tristesse aussi de mourir... Quand tout n'est plus qu'après dans le silence.

Le visage dans mes mains j'essaie de voir la nuit, au profond paysage. Mais ce ne sont que des larmes qui me brûlent.

Nous pleurons pour faire fondre la nuit.

Celui qui réfléchit sur le miroir de la mort a l'impression de voir sa vie à rebours.

Ce qui meurt en moi a ailleurs son cadavre.

Seul, tout devient séparation.

Trop de mondes où je suis mort me tiennent séparé de toi.

Une absence fait résonner tout l'espace, le vide, par une fracture soudain que rien ne corrige, aucune raison, et dans laquelle toute réalité s'engloutit.

Ne peut-on pas mourir de trop pleurer, comme une hémorragie de l'être ?

Dans l'absence, l'amour se perd dans l'espace comme la mort.

Je voudrais lorsque je meurs que le sillage se referme absolument. Être mort c'est survivre là où l'on est pas. C'est le souvenir qui est la tombe. On n'est cadavre que dans les caveaux sombres de l'esprit de ceux qui vivent.
Le souvenir est un meurtre qui reporte sur un monde le tremblement ancien d'une ombre, comme un caillot dans l'éternité, alors que l'on pourrait être libre.

Je voudrais seulement savoir où je dois mourir.
La solitude est un exil de toute part.

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Maj 11/07/2004