Anne Scott : Poussières d’anges ( Ed. Librio - 2002) Récits

Plus là. Plus jamais sa voix au téléphone, plus jamais son visage. Plus jamais sa silhouette, son allure si particulière. Plus jamais son poids si léger sur mes genoux, plus jamais son odeur. Tout ça est impossible, tout simplement impossible...

Je me rends à l’évidence que je ne sais rien de la mort. Quand elle survient, je ne réalise pas. Tout ce que je sais, c’est que je ne reverrai plus jamais Delfine. Mais peut-être est-ce simplement ça, réaliser.

Je reviens aussi quand la nuit est tombée, et dans le fracas de l’océan, là dans le noir, devant les vagues qui déferlent et écument, je pleure sans pouvoir m’arrêter. Je pleure parce qu’il n’y a pas moyen de savoir si elle a su. Si elle est tombée dans le coma avant ou si elle l’a vu venir. Si elle a été terrorisée. Si elle a souffert. Comment accepter que lorsqu’on meurt, on s’y trouve confronté tout seul ? comment accepter que Delfine, notre Delfine se soit retrouvée face à ça...

[la pluie] , en défilant de nouveau, cette fois pour laisser tomber une fleur. Là, dans le silence écrasant, dans l’attente d’une parole qui ne viendra pas. Là encore, une fois la plupart des gens repartis, alors que certains resteront pour ne pas abandonner les parents, ne pas les laisser comme ça, devant ça. Demeurer près d’eux, ne rien trouver d’autre à faire que régulièrement presser leurs épaules, leurs bras, mais demeurer. Là trempés jusqu’à la peau.

S’asseaoir là, chaque fois, en se demandant qui vient, qui se souvient. Qui s’est remis à vivre normalement et qui y revient. Sans cesse essayer de comprendre, ce qui a pu se passer mais aussi ce que ça signifie, maintenant.

Se demander si elle en est malade, ou si elle s’en trouve soulagée. Si elle nous voit nous pencher sur son nom, ou s’il n’y a vraiment rien d’autre après, rien d’autre que des tombes pour ceux qui restent... S’adresser à cette tombe, lui poser des questions à voix haute, et apprendre à accepter qu’elles restent sans réponse.

Parce qu’il est des choses, comme l’inconscience ou la bêtise, qu’on ne peut pas pardonner. Des choses qui ne relèvent pas de la fiction d’un livre ou de la légereté d’un samedi soir. Des choses qui ne s’effacent pas comme une méchante gueule de bois ou une mauvaise gerbe de dope pas bonne. Il est des choses qui sont vraies, comme le fait de mourir à tente-trois ans, sans avoir eu le temps de réaliser le quart de la moitié de ce qu’on avait à faire. Des choses qui nous atteignent, et qui font qu’ensuite, on ne sera plus jamais les mêmes. Et en ce qui me concerne, c’est bien le minimum que je puisse faire.

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Paul Scott : Quelques jours avant la nuit ( 1977 -Vernal/P. Lebaud Ed.- )

" Ne t'en fais pas, Tusker. Je ne vias pas me mettre à pleurer. Je ne peux pas me le permettre. Demain, je dois jouer mon rôle toute la jpournée. Et un autre, merdredi. Et jeudi aussi.

" La seule chose que je te demande, tusker, c'est si tu étais sérieux en disant que j'avais été une bonne épouse pour toi. Si c'est vrai, alors pourquoi m'as-tu abandonnée ? Pourquoi m'as-tu abandonnée ici ? J'ai peur de me retrouver seule, Tusker, bien que je sache que ce n'est pas bien de ma part d'être faible et d'avoir peur...

" ... Mais maintenant, jusqu'à la fin, je vais être seule, quoi que je fasse, et ici, en terre étrangère, comme je le craignais, dormir et se réveiller seule, toute seule, à tout jamais, je ne peux pas le supporter, mais il ne faut pas que je pleure, il faut, il faut absolument que je reprenne le dessus, je ne vois pas comment pour l'instant, aussi, les yeux fermés, je te donne la main, Tusker, et je te supplie, je t'en supplie, je t'en prie, Tusker, prends-là et prends -moi avec toi. Comment peux-tu refuser, Tusker ? Oh Tusker, Tusker, Tusker, comment peux-tu m'obliger à rester ici, toute seule, alors que toi, tu es rentré à la maison ? "

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Maj 28/07/2003