Laurent MAUVIGNIER : Ceux d'à côté ( Editions de Minuit 2002 )
Cette douleur à moi, là, qui faisait un creux et que j'entendais battre sous la peau. J'écoutais mon cur en posant ma main sur la peau, ça bat, oui, ça bat encore mais comme ça fait mal, les sourires sur leurs bouches. Il fallait baisser les yeux, il fallait rabattre bien sa paume sur le cur pour ne pas laisser voir où ça me laissait, où eux me laissaient, sans s'en rendre compte, avec leurs yeux pour eux, sans les autres, sans savoir que les autres, c'était moi.
[...] -
tu sais, Sylvain, ça me manque des fois de ne pas entendre sa
voix de l'autre côté du mur. Comme quand je rentrais et que
dès le rez-de-chaussée j'entendais sa voix qui reprenait
toujours le même air, le disque de Verdi qu'elle m'a donné,
celui que je voulais.
Ca me manque des fois. Et puis parfois, c'est le contraire. Tout
devient terrible, ça prend corps, tout recommence et alors la
musique je l'entends la nuit qui bourdonne comme un drôle de
chant, et ce rythme, comme ce souffle, une main sur la rampe, le
plancher qui craque, la lumière, tu sais, dans le couloir, la
minuterie et alors tout qui revient dans ma tête et c'est à
cause de la musique que ça vient et moi je voudrais qu'on
m'enlève toute cette musique et puis,
j'écoute encore.
[...]qu'elle ne reverrait jamais cet appartement ni les objets dedans, parce qu'il n'y aurait plus comme on la connaissait cette place pour chaque objet, le globe lunaire qu'on avait trouvé toutes les deux à une brocante, avec les noms dessus, Lunik2, Autolycus, à cette place-là sur la cheminée, à côté de la branche desséchée de cacao, les flacons, rien, c'est peu, mais dire que ce peu il ne sera plus à la même place, parce qu'il n'y aura plus la même odeur, le même soleil, dire que l'appartement sera vide [...]
parce que courir, c'est ce qui rets quand on menace de tomber.
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Maj 30/09/2004