Jean Joubert : La jeune femme à la rose ( Ed. L'école des Loisirs - 2002 )

Ugo est atterré. Jusqu'alors, rien ne l'a préparé au malheur. Il s'enferme dans son atelier, et ne veut voir personne. Les portraits de Nadéja accrochés au mur le fixent d'un regard heureux dont il ne peut se déprendre. Morte ! Est-ce possible ? On n'a toujours pas retrouvé le corps, et Ugo ne peut s'empêcher de croire que c'est la jeune femme, vivante, qui va ressurgir, là, sur la terrasse au pied de laquelle la mer respire et murmure. Mais les jours passent, il cesse peu à peu d'y croire. Ses nuits sont déchirées de cauchemars d'où il émerge, baigné de sueur, poursuivi par les images obsédantes d'un cadavre dévoré par les crabes et les pieuvres.
D'abord, il a cessé de peindre. Pourtant, il se ressaisit, et c'est frénétiquement qu'il reprend ses pinceaux et, de mémoire, fixe sur la toile le visage de son amour perdu. En quelques jours, il esquisse une cinquantaine de petits portraits, puis, il s'arrête. Ce qu'il veut entreprendre désormais, c'est un vaste tableau, somptueux, qui, tout à coup, comme dans une vision, lui est apparu. Il représentera, sous une lune claire, une forêt rêvée, plus vraie que celle où il a souvent marché avec Nadéja, et dont il fera surgir, non seulement les formes, les couleurs, mais aussi, par magie, les bruits, les parfums. Et, au centre de cette forêt, il placera enfin l'image idéale et souveraine de Nadéja.

- Oui, ajouta le professeur. Nous savons, par exemple, que les morts ne sont pas ce que l'on croit. Ils rôdent autour de nous, ils nous frôlent parfois, ils nous parlent dans leur silence. Invisibles. Parfois visibles, pourvu que nous désirions avec force leur retour.
- Ils reviennent aussi dans la musique, dit mlle Katz. Dans une certaine musique, bien sûr, qui nous arrache du monde, nous transporte et efface la frontière avec l'au-delà.

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Maj 09/03/2004