Henri Gougaud  : le Trouveur de feu ( Ed. du Seuil -1980 )

- Fa, petite étoile, je vais danser ta mort. Je vais faire avec toi l'Amour Noir. Que Toumbo aspire ta jouissance. Que Toumbo emporte ta jouissance. Que Toumbo fasse de ta jouissance une feuille d'arbre dans un jardin du pays paisible.
Les Homlis assemblés entonnent un chant monocorde et puissant qui s'élève, voûte close, invisible, ventre sonore enchâssant la place, la cage et Izahi dont le visage est impassible et les yeux sans lumière. Il s'accroupit, pose ses lèvres sur chaque branche de la litière funèbre, tourne à pas strictement mesurés autour des ossements de sa mère, face à elle, les bras ouverts. Puis il écarte les jambes à petits coups saccadés, jette durement son corps en arrière, oscille d'un pied sur l'autre, décrit une lente spirale autour de Fa gisante. Le chant déferle comme les vagues de la mer, l'enveloppe et l'abandonne à son rythme, l'aspire et le tient debout. Sur une plage d'éternité Izahi danse autour de la mort. Il ignore tout d'elle. Il accomplit les gestes coutumiers, se laisse aller à la danse obscure. Il tient une planète chaude prisonnière derrière les portes closes de de ses yeux, elle roule entre les murs de son crâne, bat contre ses tempes, il la contemple, la polit, la savoure, la caresse, il la baise avec une tendresse exaltée qui lui fait pousser des gémissements d'enfant ensommeillé, et la planète chaude jouit, explose avec une infinie reconnaissance et se dissout et disparaît. Ne reste que l'ombre vide derrière les yeux d'Izahi. Son corps tourbillonant et somnambule l'a conduit du centre de la ronde à sa lisière et de la lisière au centre de la ronde. Il tombe là, face contre terre, les bras en croix. Il nentend plus le chant qui reflue, rentre dans les poitrines et meurt.

Voici la cime, le silence lumineux, Sath au regard vide couché sur la pierre chaude, Nilée sa servante accroupie, les quatre horizons, le parfum du vent. Chilam debout en plein ciel contemple son frère souillé de sang brun et de boue sèche. La femelle sans âge tend au vivant ses mains ouvertes, sanglote, désigne la plaie noire :
- Regarde, dit-elle, épouvantée. Nul ne fut jamais déchiré de la sorte. Qui a fait cela, Chilam ?
- Un roseau. Le hasard, Nilée. Sèche tes larmes. Pleurer n'est pas sage.
- Sath fut ma sagesse. Ma sagesse est un cadavre. Je sens pousser un fagot d'épines dans mes entrailes. Que le soleil me pourisse.
- Oublie. Va errer dans le désert rouge jusqu'à ce que ta souffrance y tombe en pousière. A ton retour, tu serviras Rambo, l'enfant muet.
Elle sourit tristement, pleure encore et s'apaise. Ses yeux sont bruns, grands, étincelants. Elle est maigre et belle malgré la douleur qui tord sa bouche et ride son front.[...]
- Il n'est pas bon qu'un mort demeure trop longtemps à la lumière. Adieu.

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Maj 14/11/2003