Eliane Girard : Qui m'aimera encore quand je serai mort ( Ed. Belfond -2004 )
- Allô,
Mathieu ?
- Salut, Laure.
- Salut. Je t'appelle pour Franck. T'es au courant ?
- Oui. Ca m'a fait un coup. Il était tellement gentil. C'est con
comme formule, mais c'est vrai. On sort toujours des trucs à la
con dans ces cas-là. J'admire ceux qui arrivent à pondre la
phrase intelligente, sensible, pleine d'émotion.
- T'inquiète. Ceux-là, la plupart du temps, l'ont préparée.
Le chagrin ne donne pas de talent.
- C'est quand les obsèques ?
J'espère
que papa va venir. Laure l'a persuadé mais est-ce que sa
décision aura tenu jusqu'à ce matin ? J'aurais dû l'appeler...
non, non ça aurait eu l'effet inverse.
Pauvre Franck. Je n'ai même pas osé le regarder tout à l'heure
au moment de la mise en bière... Désolé, Franck. Tu peux quand
même reconnaître que subir ça tout seul, c'était dur.
Gaétan a bien proposé de m'accompagner, ça t'aurait peut-être
fait plaisir, mais non, là, c'était trop... J'aurais pu
demander à Pierre de venir... non, il n'aurait pas tenu le coup,
ou à Sarah... elle n'aurait pas pu non plus. On ne peut demander
à personne... d'affronter la mort...
À un moment, j'ai cru que j'allais vomir. Ca doit être le
manque de sommeil, le stress...
C'est bizarre, je n'arrive pas à le voir autrement que la
dernière fois à Saint-Anne... ou tout jeune quand il est
arrivé chez nous. Il avait l'air androgyne, avec ses cheveux
longs... personne ne s'était occupé de lui depuis longtemps...
[...] ... Mais c'est un fou du volant, le mec qui conduit le
corbillard... Si ça continue, j'arriverai pas à le suivre... Je
pouvais monter devant comme ils me l'ont proposé... mais je
n'aurais pas supporté. Voyager avec cette boîte derrière, le
corps de Franck, ç'aurait été au-dessus de mes forces. Pour un
psy, je n'ai pas beaucoup de courage dans le deuil, il faut bien
que je l'admette... Les cordonniers sont les plus mal chaussés.
- Il
essaie de se placer. Qu'est-ce-qu'on en a à foutre ? Franck est
là dans cette boîte et je te dis, pour moi, il n'y a que ça
qui compte. Les autres, leur tristesse réelle ou feinte, je m'en
tape. Nous, on sait pourquoi on est là.
Ils sortent le cercueil. Il a l'air
sacrément lourd... c'est ce que me disait Sarah. Putain, c'est
Franck qui est là-dedans. Pierre a raison, il n'y a que ça qui
compte. Franck...
Claude est mal. On n'aurait pas dû le laisser seul pour la mise
en bière, Pierre aurait pu...
Il pleure, mon Pierrot, comment puis-je dire ça... personne ne
pouvait lui demander une chose pareille.
Franck, si tu m'entends, je pense à toi. Avant, quand la vie
était belle, ou paraissait belle. Franck, ne nous en veux pas.
Tu nous a manqué et tu nous hanteras.
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Maj 04/08/2004