Fabrice Colin : Vestiges d'Arcadia ( Ed. Mnémos - 1998 )

Figés dans une froideur toute minérale, les sépulcres et les pierres tombales cèdent aux assauts des ronces et des mauvaises herbes. Des statues d'anges en pleurs côtoient des sculptures de créatures inconnues, émergeant du chaos végétal, branches acérées, plantes vénéneuses et touffes sauvages étouffant les mumures d'outre-tombe. Sous la neige, l'effet est plus saisissant encore, et les deux amis retiennent leur souffle en gravissant la colline bosselée. Les branches couvertes de givre s'agitent au-dessus des chapelles, sous le regard impassible de madones aux yeux clos. Au détour d'un bosquet, c'est une fillette de marbre, pleurant sur un banc, les chevilles couvertes de lierre ; ailleurs, ce ne sont que statues pétrifiées de douleur, angelots crucifiés aux ailes tapissées de glace, leurs doubles visages fouettés de branches grises, ou nouveaux-nés granitiques aux bras de mousse atténués de neige bleutée - partout le silence, pas le moindre oiseau, pas même un frémissement, rien d'autre qu'une beauté glacée fichée de serres nocturnes, le triste cimetière d'Highgate. Viens, songe Swinburne en fermant les yeux, viens, et partons sous la lune absente, couchons-nous dans l'herbe molle, à l'ombre affligée de la douleur, sur ce marbre de jeunesse abandonné au monde, et attendons la mort. Cénotaphes et mausolées aux érosions sensibles, un monde de douleur et de peine : leurs yeux aveugles se plissent sur des inscriptions secrètes, pyramides et nécropoles, monuments funéraires élevés à l'absence des morts, à tous ceux qui n'ont vécu qu'ici, à tous ceux qui ne sont plus rien et n'ont jamais été, enfants de l'inconscient collectif, élus des songes de la terre, souvenirs avortés retournés au néant.

Je ne dis rien. Y-a-t-il quelque chose à dire ? Le rêve est encore en moi, ma mémoire en reste imprégnée, et avec quelle netteté ! Lorsque je me suis réveillé tout à l'heure, j'ai repensé à ce truc de Platon ou je ne sais plus quoi, qui sait si la mort n'est pas simplement la fin d'un songe, qui sait si elle n'est pas un éveil ? Je ne sais plus si je m'éveille d'un rêve ou si je viens de m'endormir - et comment faire la différence ?

 

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Maj 04/08/2004