Andrée Chedid : Mondes Miroirs Magies ( Ed. Flammarion - 1988 )
A
l'exemple de ses parents, Omar-Paul refuserait de choisir, de
haïr. Pourtant son père et sa mère étaient morts. Tous les
deux, comme tant d'autres. Morts et enterrés !
Ces souvenirs, que personne d'ici ne pouvait partager, lui firent
mal. Si mal qu'il ne songea plus qu'à étouffer ses sanglots,
qu'à trouver un refuge où se terrer.
La
pensée de ne fournir à la mort qu'un cadavre labouré par
l'âge me devient par moments intolérable. Ce n'est pas une
forme contrefaite, une caricature de ce que j'étais que je veux
lui remettre un jour !
Ce n'est pas une défroque, une créature diminuée, enlaidie que
je veux livrer au regard des miens ! Mais plutôt le souvenir
d'une plante encore vivace, d'un arbre dans sa maturité, d'un
corps d'automne que l'hiver n'a pas encore délabré, d'un
horizon qui contiendrait de possibles étoiles. C'est tout cela
que je veux laisser, offrir.
Pourquoi
dramatiser ? A longue, à brève échéance, la sortie est
certaine. Aujourd'hui, demain ? Quelle piètre victoire ! Absente
des abysses du passé, comme des mouvements de l'avenir ; si peu,
si brièvement d'ici, aurais-je seulement existé ?
Que me réserve l'autre bord ? Je n'en sais rien. J'ignore la
matière et la trame de l'éternité ; je suis aveugle à ses
couleurs. A-t-elle volume, texture, reflets ? De l'autre côté,
cette mobilité qui fait la vie ne va-t-elle pas s'enrayer,
s'interrompre ? Pourquoi s'acharner à jouer une partition sans
suite, ou du moins inconnue ?
Peines, absences, défaillances, je travestis, je masque. Je poudre, recouvrant leurs stigmates.
Ceux
qu'elle laisse derrière souffriront; culpabiliseront peut-être
? Ce serait injuste. Depuis des mois, elle se situe en deça de
toutes paroles, de toute attention, de tout secours.
Elle s'obligea à se relever. Son regard se brouilla ; mais elle
fit un effort pour écrire lisiblement sur le bloc-notes : "
Pardonnez-moi. Je ne veux plus."
Mort au ralenti
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Maj 04/02/2004