Marie CHAIX : Barbara ( Editions Calmann-Lévy 1986 )
A la nuit
on peut déambuler au milieu des ombres sans que les vivants s'en
étonnent, puisqu'ils dorment. On peut se cogner aux fantômes,
leur parler, et peut-être, avant le petit jour, les appricoiser
avec une musique.
La nuit est silence, elle se creuse pour laisser descendre les
oiseaux au vol bruissant.
Se raconter, se chanter, c'est livrer son âme et ses chagrins,
c'est proclamer ses deuils et avouer, j'ai connu des drames,
écoutez-moi, j'ai eu mes morts, je les ai pleurés, ils me
pousuivent, laissez-moi vous les confier.
Les morts et les douleurs sont des richesses qu'on se partage
sans litige ni amertume. Je connais une petite fille qui, à sept
ans, s'étonnait qu'il y eut un « jour des
morts » et que les vivants soient si
anxieux de courir au cimetière pour fleurir « leurs » morts à eux.
Elle ne comprenait pas. « Ils sont tous
pareils », disait-elle.
Depuis Nantes,
l'errante de la nuit nous raconte ses morts et nous fait pleurer
sur les nôtres. Elle nous chante les jardins de silence, les
forêts profondes et les grandes allées sans arbres. Avec elle,
nous apprenons, si nous ne le savions déjà, que nous promenons
nos morts avec nous, inquiets ou parfois effayés qu'ils puissent
ne pas « dormir
tranquilles », nous les portons et ils nous
pèsent, tant que nous n'avons pas fait la paix avec eux. Le
deuil est-il le pardon qu'enfin nous leur accordons ?
Peut-être qu'ils dormiront mieux
Si nous pouvons fermer leurs yeux...
Depuis Nantes, et
même avant, depuis le moment où une voix l'a appelée, qu'elle
est allée au rendez-vous et a trouvé les mots pour chanter la
mort du père, l'orpheline accomplit un parcours de deuil à
travers une suite de chansons prières, « leçons de
ténèbres » qu'elle dédie aux morts bien
aimés qui se ressemblent tant.
Qu'ils dorment
S'endorment tranquilles...
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Maj 28/01/2005