Nicole Chaumet-Chavinier : La fin de l'été...

Le temps s'effiloche avec ce noeud, soudain, au creux de l'estomac, ce noeud qui va, vient, s'en va, revient. Pour une image, un mot, un geste, un souvenir trop précis, une similitude de situation ou un ciel un peu trop pur. Je ne sais jamais quand ni comment. Cela fait mal, très mal. Je retiens mon souffle. L'alerte s'en va, sur la pointe des pieds. La barre s'atténue et la pendule poursuit sa marche. C'est ainsi depuis six mois. Ce sera ainsi sans doute très longtemps, peut-être jusqu'à la fin du temps, ou du moins, jusqu'à la fin de mon temps...

Je ne suis pas triste : c'est différent. J'ai dépassé le seuil de la tristesse. Je suis "en manque", comme quelqu'un privé soudain de l'un de ses membres. J'ai mal au coeur comme l'unijambiste souffre de sa jambe disparue.

 Vivre autrement, dans l'esprit et dans l'âme, savoir que le monologue est en fait un dialogue perpétuellement renouvelé. Que tu es là, de l'autre côté et qu'il faut parvenir à percer le mur qui, trop souvent, cache le regard, efface la chaleur de la voix, diminue la portée du sourire. Le mur, ce combat permanent avec le mur. Le mur du silence, le mur de la solitude. Le mur du gouffre sans fond que semble déverser le temps.

 Ce n'est pas vrai que l'on s'habitue. Ce n'est pas vrai que le temps efface. Sinon qu'il fait que rien n'a plus le même goût, la même saveur. Ni l'air que l'on respire, ni la chaleur du soleil, ni l'éclat du ciel ni même la beauté de la mer. Il y a toujours ce "manque" impossible à combler, quoi que l'on fasse, quoi que l'on devienne, qui que l'on rencontre, quelles que soient les ruses que l'on utilise. C'est cela, la séparation : cette différence entre ce qui était et ce qui est. A la longue, peut-être cela devient-il moins douloureux, moins cruel ?

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François CERESA : Moume (ed. du Rocher) En mémoire de la mère de l'auteur

Moume, j'écris ce livre pour ne jamais oublier ceux qui partent trop tôt, toujours trop tôt. Comment faire autrement ? Je voudrais te dire que je t'aime pour avoir trop souvent oublié de te le dire de ton vivant. Puisqu'une sotte pudeur nous enjoint de ne pas parler, autant l'écrire noir sur blanc. C'est un peu tard. Mais je veux que tu revives éternellement sous ma plume qui n'est plus qu'une plume en perdition. Je veux revoir ton sourire de Normandie quand la mer moutonnait près du Home. Je veux tout simplement me souvenir.

Les photos restent. Adolescent, je me moquais de ces reliques aspirant à éterniser ce qui ne le sera jamais. Les moments furtifs de notre passage sur terre, un sourire, un regard. - Nous ne sommes que poussière, disait Moume. Aujourd'hui, autour de mon bureau, les photos témoignent. Ces janissaires à la peau de bromure composent ma garde d'honneur.

Qu'avons-nous gardé dans nos coeurs ? Rien que la mémoire, cette fermentation de souvenirs qui se transforment autant qu'ils se conservent.

" Le bonheur, c'est de toujours désirer ce que l'on aime déjà" écrivait Saint-Augustin.

Il ne faut jamais forcer les enfants. On oublie les bonheurs, jamais les malheurs.

La disparition des êtres d'exception, je le sais à présent, fait moirir les vivants. Leur souvenir creuse un peu plus nos rides.Tout à l'heure, à l'heure du retour, pour ne pas oublier, pour prier peut-être, nous emprunterons le chemin d'autrefois.

Au fond, si le souvenir du bonheur nous est plus précieux que le bonheur lui-même, c'est parce que nous ne vivons vraiment que dans le passé. Tu es mon passé. Mes roses et mon lilas. Le secret d'un oeil bleu.

Chacun de nous, au plus profond de lui, charrie son enfer portatif. Il s'en accomode comme il peut. Sinon, il se rebelle. C'est ainsi que l'on fabrique des générations de tordus. L'insoutenable lourdeur de l'être.

On croit prendre la mesure de ce que l'on a , on ignore ce que l'on perd.

Je sais, nous ne sommes que pousière. La mort est une vie inutile.

Je n'ai conservé que la photo.Elle tapisse mon portefeuille côté coeur. Je ne regrette rien. Lorsqu'on attrape l'éternité, on devrait l'étrangler. Il faut toute une vie pour gravir ce sommet. Quand on y parvient, on sait que demain, dans une heure ou tout de suite, on va découvrir l'autre versant : la descente sans joie, les feux qui ne chauffent plus, l'air rare, le souffle court, les mains qui ne serrent rien, les yeux aveugles. La vie n'est pas dans la durée. Il n'y a que l'instant qui soit éternité.

J'aimais tes paradoxes. Tu étais mon corps d'attache. Sans maman, on a plus de protection. Le monde est plein d'orphelins qui ont perdu cet absolu droit d egrâce. Je me reproche d'avoir été une forteresse de pudeur, un naïf récurrent, évaluant mal le drame qui se tramait.[...] Je ne peux plus naviguer qu'au gré du sésespoir. Ce qui m'est arrivé arrive à tout le monde, c'est bien pour cela que j'en veux à la terre entière. Je resterai un solitaire qui aime la compagnie. Un chat dans un pot de miel.

Ma légèreté n'était qu'incertitude. Si l'indignation me tient lieu d'oxygène, la maladie m'asphaxie. Et si nous ne survivions que pour penser à ceux qui n'ont pas vécu ?

Je pleurais doucement, la tête contre la vitre, supposant que le vrai chafrin n'avait pas commencé, qu'il serait pour demain, pour tout le restant de ma vie.

La mort était là. On y pense, on en parle, mais on ne la comprend pas. Quand on la rencontre, on la reconnait à peine.

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Maj 01/10/2003