Terry BROOKS : La licorne noire (1987- traduction française Editions J'ai Lu 1996 )
-de la série Royaume magique à vendre -

Il répondit par un sourire qui se voulait rassurant, mais ces serments le mettaient toujours aussi mal à l'aise. Il ne voulait pas qu'elle l'aime, du moins pas d'une façon si inconditionnelle, si absolue. Cela l'effrayait. Annie l'avait aimé ainsi. Annie, sa femme aujourd'hui disparue, tuée dans un accident de voiture qui lui semblait remonter à plus de mille ans et, plus souvent encore, à la veille. Il n'était pas prêt à s'abandonner de nouveau au feu de la passion. Il ne voulait pas risquer de perdre un tel amour une secondefois. Il ne l'aurait pas supporté. Cette simple perspective l'épouvantait.
Un nuage de tristesse vint assombrir son front. C'était étrange. Avant de rencontrer Salica, jamais il n'aurait imaginé ressentir pour une autre ce qu'il avait éprouvé pour Annie...

Oui, mais le bon temps n'avait qu'un temps. Il avait fallu qu'Annie disparût. Tout s'était alors effondré d'un seul coup. Quand sa femme était morte dans cet accident de voiture, elle était enceinte de trois mois. Il avait tout perdu avec elle. Il s'était alors terré chez lui, refusant de voir qui que ce soit à l'exception de Miles. Oh ! Certes, il n'avait jamais été très sociable. Il préférait souvent la solitude aux relations de convenance. Il se disait parfois que le décès d'Annie n'avait fait qu'exacerber une tendance de sa nature profonde. Il avait commencé à lentement dériver, les jours succédant aux jours, les évènements se mélangeant les uns aux autres, dans une uniforme médiocrité. Peu à peu, il avait senti qu'il perdait pied. Il se fuyait lui-même.

Tu comprends, c'est un sujet dont il n'est pas facile de parler... un peu comme pour Annie. Je ne parvenais jamais à parler d'elle sans... sans me demander si j'en avais le droit. Tu t'en souviens ?
- Oui, Ben. Je m'en souviens. (Un petit sourire triste passa sur les lèvres de son associé.) As-tu finalement fait la paix avec son fantôme ?
- Oui. Mais cela ne s'est pas fait tout seul, tu sais. Cela m'a pris beaucoup de temps et demandé beaucoup d'efforts. (Il se tut, plongé dans ses souvenirs. Il se remémorait l'instant fatidique où, perdu dans le monde des fées, il avait dû affronter cette terreur qui le hantait depuis le décès d'Annie, la peur de lui avoir fait faux-bond au moment crucial, la hantise d'être responsable de sa mort.)

Cela faisait si longtemps qu'il muselait son cœur, si longtemps qu'il s'interdisait tout sentiment. Depuis le décès d'Annie, sa femme, il s'était refermé comme une huître, réfugié dans sa tour d'ivoire, barricadé derrière des remparts de froide insensibilité et n'avait pas laissé quiconque l'approcher. Aimer impliquait un engagement, une responsabilité qu'il ne se sentait plus la force d'endosser. Aimer, c'était prendre le risque de souffrir, de souffrir si cruellement que seule la mort paraisait plus douce. Il ne voulait plus prendre ce risque. Il ne voulait plus souffrir.

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Maj 29/01/2005