D a n i e l l e

(Je t'aimais, je t'aime, et je t'aimerai...)

Tentative biographique

Ces éléments, parcellaires, de la vie de Danielle sont ceux en ma possession, soit pour les avoir vécus avec elle depuis 1973, soit pour les années antérieures, la vision qu'elle-même m'en a donnée...

Je ne prétends ni à une vérité absolue, ni à un quelconque règlement de comptes; juste une tentative, avec les propres lacunes de ma vision, pour essayer de comprendre pourquoi le 14 septembre 1998, Danielle n'a pas trouvé d'autre porte que la mort.

30 décembre 1955 -14 septembre 1998 ; entre ces deux dates, tient toute la vie de Danielle. Comment la décrire ? Pourquoi, à 42 ans, se suicider, alors que quelques mois auparavant, elle écrivait à une amie qu'elle réalisait son rêve : être bibliothécaire et vivre dans le Sud-Ouest ?

Danielle est née le 30 décembre 1955 à Auch dans le Gers. De sa Gascogne, elle s'est, progressivement, avec le temps, réapproprié l'image d'un pays heureux, où la vie pouvait être douce, mais loin de sa capacité au bonheur.

Naître de père inconnu, en 1955, à une époque et dans une région rurale où il ne faisait guère bon être "fille-mère".

Le secret qui entoure sa filiation paternelle, elle ne l'a jamais accepté. Ses souvenirs d'enfance se résument à la vision fugitive d'un homme blond, parlant avec un accent peut-être bordelais, qui venait la voir quelquefois.

Pas de mariage maternel, sans doute impossible si, comme elle l'a supposé, l'homme l'était déjà, mais en mars 1958, la naissance d'une seconde fille ; la ressemblance ente les deux soeurs ne laisse pas le moindre doute : le père est bien le même. Fin des années 50, guerre d'Algérie, sans doute le père y a t-il laissé la vie.

Désormais aînée de la fratrie, elle se trouve investie de la responsabilité de sa jeune soeur. La mère travaille comme aide-soignante à l'hôpital, les deux enfants se trouvent placées chez une nourrice, Flora Antelmi.Elles y vivent au milieu d'une multitude d'enfants qui vont et viennent au gré des placements et des difficultés familiales.

Elevée au sein de cette familia à l'italienne, elle a toujours gardé des liens très forts avec sa nourrice, qu'elle a toujours considéré come une autre mère. Pas un séjour dans le Gers sans passer la voir, assez souvent même avant d'aller voir sa famille officielle, sans aller y manger les tourteils.

De constitution fragile, Danielle est vite rattrapée en taille par sa soeur, au point qu'au début des années 60, sur les photos, on croit voir deux jumelles. Mais l'aînée en âge garde la responsabilité de veiller sur sa cadette, et, sans doute aussi, sur les plus petits des enfants qui composent cette famille hétéroclite, notamment pendant les quelques kilomètres pour aller à pied à l'école d'Ambatz. Ecole à deux classes où elle apprendra très vite, en écoutant avant l'heure le cours des grands et arrive avec une année d'avance au collège.

1964. Sa mère épouse un homme originaire, comme elle-même, de la région de Nogaro, qui reconnaît à l'état-civil les deux soeurs, avant de leur donner .un demi-frère.

Sans porter de jugement sur les motivations de sa mère, c'est un nouveau traumatisme pour Danielle qui perd cette fois le nom de famille de sa mère, Lamé, pour celui qu'elle n'a jamais vraiment accepté, malgré tous ses efforts pour sauver les apparences. Même si elle comprend que la situation n'était pas forcément facile non plus pour cet homme victime de l'exode rural pour se retrouver ouvrier à la ville avec 3 enfants. Coïncidence ? Elle redouble alors sa sixième. Coïncidence ? Elle est envoyée faire un séjour en sanatorium dans les Pyrénées, dont elle gardera un très mauvais souvenir, pour fortifier sa constitution trop frêle.

Absence de repère paternel, perte de confiance dans sa mère; de cette enfance, elle a gardé un sentiment d'abandon, une peur profonde de la vie, de l'avenir, le poids trop lourd pour ses épaules des responsabilités qu'on lui confiait, l'assurance de l'échec inéluctable de ses tentatives de réussir sa vie.

Seconde sixième, pousuite d'une scolarité sans problème, sauf en maths, avec, parfois, des résultats cahotiques même dans ses matières de prédilection. Anglais, espagnol, latin et grec, Français, bien sûr, tout ce qui est purement littéraire l'attire.

Situation financière difficile, le beau-père, ouvrier, ne souhaite pas que lamère travaille, malgré les cinq bouches à nourrir, relations familiales tout aussi délicates, pour les parents, il y a les "filles" d'un côté, le garçon de l'autre d'autant que le mentalité rurale de son beau-père reste assez machiste. Danielle va avoir 18 ans; C'est alors que naît un second fils

En 1973, elle passe un baccalauréat littéraire avec latin et grec, où elle est persuadée d'échouer, au point de ne pas oser aller voir les résultats. Pourtant sans aucune raison : elle est reçue avec mention Bien !

Son objectif est de devenir bibiothécaire : à la rentrée 1973, Danielle intègre le lycée Pierre de Fermat à Toulouse, l'un des deux seuls lycées (avec le lycée Henri IV à Paris) à disposer d'une classe préparatoire à l'Ecole des Chartes.

Difficultés financières, ses seules ressources sont sa bourse universitaire, dont elle ne touche le premier trimestre qu'en décembre. Difficultés d'intégration, dans un milieu scolaire où il y a plus d'enfants issus de la noblesse et de la bourgeoisie urbaine que d'enfants d'ouvriers, et où prévaut le laminage psychologique.

.Les critères universitaires (il n'y a, théoriquement, que de bons élèves recrutés sur dossier) passent après l'équilibre personnel. Plus facile de résister quand on a les facilités financières et la connaissance du milieu que quand on a à peine l'argent pour manger au restaurant universitaire et pas du tout pour rentrer dans sa famille où, de toute façon, le climat reste tendu.

C'est dans cette classe préparatoire que nous nous sommes rencontrés, Danielle, la petite gersoise haite comme 3 pommes et moi, débarqué dulointain Maine et Loire, sans avoir de vision très claire de ce qu'était une classe préparatoire.

Je me souviens de la première impression qu'elle m'a donnée, le jour de la rentrée, de la fierté de son regard qui la faisait paraître beaucoup plus grande que ses 1mètre55. C'est sans doute cette impossibilité, financière pour Danielle, géographique pour moi, de quitter Toulouse entre les vacances scolaires qui nous a rapprochés.

Document provisoire en cours de rédaction

Depuis, nous avons vécu et construit ensemble nos vies d'adultes.Nous n'avons pas eu d'enfant parce que Danielle était persuadée de son incapacité à faire leur bonheur.  

Nous nous sommes mariés en 1977. Pour des raisons professionnelles (concours administratifs réussis par l'un ou par l'autre), nous avons habité successivement à Cholet, à Tours, et à Orléans jusqu'en 1984.  

En 1983, à la suite d'un problème professionnel, qu'elle a considéré comme un échec, (réussite à un concours à la Sécurité Sociale, suivi d'une formation qui lui a montré que ce n'était pas sa voie, et retour à la case départ), elle a fait une tentative de suicide.

L'année suivante, nous avons été mutés tous les deux en Charente où se sont déroulés sans aucun doute les jours les plus heureux : nous sommes restés une dizaine d'années, avec un réseau de relations qui nous ont apportés plus de stabilité, une situation financière correcte, l'achat d'une maison, ce qui pour Danielle, était une grande réussite  personnelle.   Elle a, m'a-t-il semblé, bien encaissé le choc du décès de sa mère en 1990, même si le secret non levé sur la naissance des deux soeurs lui a laissé un goût amer...

 

 

1994 - 1998

 

  En 1993, elle a repris avec succès des études pour devenir bibliothécaire, et a obtenu en octobre 1994, la direction de la médiathèque de Saverne , en Alsace.   A l'époque, je travaillais comme agent comptable du CROUS de Poitiers, et n'ai pu obtenir une mutaion pour Strasbourg qu'en septembre 1995.

Cette année de séparation géographique a été difficile : nouvelles responsabilités dans un contexte moral et professionnel difficile pour Danielle, et j'ai souvent tremblé quand, au téléphone, elle était angoissée devant un avenir familial incertain dans l'attente de ma mutation et professionnellement délicat où la peur d'une sensation d'échec risquait de voir le jour. Finalement, elle s'est brillament imposée en Alsace et,  en octobre 1997, a obtenu la direction de la médiathèque d'Hendaye.  

Nouveau poste, nouveau problème de calendrier de mutation (à l'éducation nationale, demande en janvier avec effet au 1er septembre). Cette seconde séparation fut également difficile, en raison de la distance, mais j'étais plus optimiste compte tenu de son euphorie (en novembre 1997, elle écrivait à une amie qu'elle réalisait ses rêves, faire le métier de bibliothécaire dans la région qui était près de la sienne).

Fin mai 1998, j'ai appris ma mutation pour les Pyrénées Atlantiques, mais à Pau, à 150 km d'Hendaye. Nous avons décidé d'habiter Bayonne, ce qui nous permettrait à chacun de faire les voyages en train. et nous avons emménagé le 11 août 1998 dans le Petit Bayonne, dans une rue très animée.  

Déjà, en avril, elle était très fatiguée, parce qu'elle s'investissait beaucoup dans son poste et qu'elle avait l'impression que la situation était plus diffcile qu'à Saverne, surtout dans la gestion du personnel, où elle n'avait que très peu de marges de manoeuvre et le sentiment de se heurter à du vent). Elle n'avait pas voulu partir en voyage, ce qui était pourtant une de ses grandes joies. Mais, à cette période, elle avait encore bon moral.  

A partir de la fin mai, à son inquiétude professionelle se sont ajoutés des soucis personnels et familiaux : ma mutation , certes, mais à 150 km d'Hendaye, ce qui compte tenu de nos charges de travail respectives, l'angoissait beaucoup ; ses frères, dont les situations personnelles étaient compliquées ; la recherche difficile d'un logement, puis l'emménagement dans un bel appartement mais située dans une rue bruyante où elle avait du mal à trouver le sommeil ; la vente de notre maison en Alsace qui posait problème ; un accident de la route que j'ai provoqué mi- août, qui nous laissait sans voiture pour plusieurs semaines ; une multitude de petits soucis et contrariétés dont la somme était pesante ;  

Le 26 août, j'ai commencé à faire les trajets pour Pau.

Le samedi 29 août,elle avait rendez-vous, le matin, pour l'état des lieux de l'appartement qu'elle habitait à Hendaye, pendant notre année de "séparation géographique". Comme nous recevions ce jour là sa soeur, son mari et leurs deux enfants qui ont toujours été pour nous comme les enfants que nous n'avons pas eu et auxquels Danielle tenait comme à la prunelle de ses yeux, je suis resté préparer le repas de midi. A son retour, son attitude était anormale, comme déconnectée de la réalité. A nos questions, elle n'a guère répondu, mais son comportement toute la journée a été bizarre, s'occupant encore plus que d'habitude de nos neveux. Ce n'est que trop tard que j'ai compris que c'est à ce moment-là qu'elle a pris la décision d'en finir avec la vie, que son empressement auprès d'Olivier et Aurélien était sa façon de leur dire adieu, qu'elle s'est persuadée que les difficultés professionelles liées à la distance allaient nous empêcher de retrouver une vie de famille normale et la stabilité dont elle avait besoin, et qu'elle n'était qu'une charge pour nous tous, et en particulier pour moi. Pendant les deux semaines qui ont suivi, la charge de mon nouveau boulot m'a beaucoup occupé et je n'ai pas fait suffisament attention à son détachement progressif de la réalité, dont l'évidence ne m'est apparue qu'après sa mort.

Par deux fois, pendant le mois où nous avons vécu ensemble à Bayonne, elle m'a dit qu'elle n'arrivait plus à trouver de repères, et j'ai essayé du mieux possible de lui faire retrouver les joies qui étaient les nôtres les années précédentes : balades en vélo, cinéma, abonnement au théâtre. J'ai pensé qu'il suffirait d'un peu de temps pour que sa fatigue physique et morale s'estompe et que la situation redevienne normale et qu'elle retrouve la force morale dont elle savait faire preuve.

Le dimanche 13 septembre, nous sommes allés à pied à Biarritz, au musée de la mer, puis prendre un café sur la grande plage. Elle m'a affirmé, ce soir-là, qu'elle était heureuse de notre journée.

Le lundi, le 14 septembre, c'était son jour de repos, et le matin, avant de partir prendre le train, je lui ai porté son traditionnel bol de thé. Dans la matinée, elle est allée à la poste envoyer un recommandé et a posé les rideaux dans la salle de séjour.

Le soir, quand je suis rentré, j'ai eu un sentiment de malaise, d'angoisse, en sortant de la gare, et pendant les quelques minutes du trajet, je sentais que quelque chose n'allait pas.   En rentrant dans l'appartement, je n'ai d'abord trouvé que le silence et les portes inhabituellement fermées. C'est en sortant dela cuisine que je l'ai trouvée, pendue. Avant même de couper la corde, je savais qu'elle ne vivait plus. Elle avait une expression de calme et de paix sur le visage. Elle m'a laissé une lettre demandant  de lui pardonner, et disant qu'elle n'y arrivait plus dans son travail et dans la vie. 

Danielle a été incinérée à Pau, le 17 eptembre 1998, où ses cendres ont été dispersées au pied d'un cerisier-fleur.

 

 

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